Un visage familier
- Melissa Fauteux
- 18 févr. 2020
- 2 min de lecture
Ce soir,
J’ai une envie incessante de vomir qui gruge les parois de mon estomac. Les milles mots sans sens dans ma tête qui font cent pas. Une fièvre qui ne s’achève pas. Qui n’existe pas. Je laisse mes oublis traîner dans le fond de ma table de nuit. Je n’en ouvre aucun tiroir de peur que ces pensées m’engouffrent et prennent les restes de rêves qui parcourent le sol.
Je quitte ce lit qui colle à ma peau. Les draps sont humides, l’air sent l’hiver. La lumière se fait timide, je ne me rappelle même plus d’hier. Je tourne la poignée avec mes doigts vieillis par les années. Le couloir est sombre. Je me faufile dans la pénombre. Je sais ce chemin. Je connais ce chemin. Ma nudité n’est pas gênée, mon corps est libre. Autrefois si vivant.

Ma peau devient froide, lourde, sans odeur, sans saveur. Le seul goût amer d’une nuit qui fait place à l’aurore. Le soleil est glacial à travers la fenêtre. La lune l’était déjà moins. Dans la salle de bain, je laisse couler l’eau. J’ai l’impression d’avoir fait ce geste tellement souvent que mes mains l’exécutent machinalement. Je baigne mon petit corps dans ce bain chaud. Je ne sens pas l’eau ni ma peau. Je n’entends plus rien. Si j’entends quelque chose. C’est le son du vide.
Un silence constant. Puis soudain, une voix d’enfant. Je vois deux petits yeux bleus qui naissent dans le cadre de la porte. Ils me dévisagent avec innocence. Ils me chuchotent des mots que je n'entends pas. Cet enfant n’a pas plus de cinq ans, tout ou plus. Qui es-tu charmant gamin? Je réalise la scène, tire mon bras pour couvrir ma nudité d’un bout de dignité. Je n’en trouve pas la force. L’aurore fait apparaître un adulte derrière l’enfant. Je suis heureuse. Je ne sais pas pourquoi, mais je suis heureuse. Heureuse de voir apparaître ce visage familier.
L’adulte vient mieux me couvrir d’une robe traînant non loin, puis m’embrasse sur le front. Cette adulte, c’est moi. Mon moi d’il y a trente ans.
Je marmonne à mon moi-même qu’elle me manque. Que je ne veux plus me quitter. Que quand elle est loin, j’ai le mal du pays.
Le petit demande: «Pourquoi grand-maman est étrange et pourquoi elle pleure en souriant?»
La maman répond tout en me regardant dans les yeux et en esquissant un doux sourire serein: « Parce que Mamie est atteinte d’une maladie. Ça s’appelle l'Alzheimer.»
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